Poèmes et écrits

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LE MONDE DE L'ENTREPRISE

Cela se passait il y quatre ans. L'entreprise s'appelait « Citron Vert », le PDG, Monsieur Malterd, le directeur financier, Monsieur Poisvon, La directrice des Ressources Humaines, Madame Porte.

Spécialisée dans la fabrique de produits à base d'agrumes, « Citron Vert » avait breveté plusieurs produits dont le gel lavant toute surface y compris la peau humaine.

Le petit groupe s'entendait à merveille et dirigeait une centaine d'employés attachés à leur entreprise mais peu enclins au zèle, d'autant que les heures supplémentaires n'étaient plus payées depuis l'échec de la négociation salariale.

Au cours de cette dernière, on avait pu découvrir l'engagement du délégué syndical, Monsieur Giétait, qui, pas assez soutenu par des employés craignant de perdre leur emploi, Madame Porte était si sévère ! n'avait pu mener les revendications à leur avantage.

Monsieur Giétait réclamait cinq pour cent d'augmentation, le maintien des primes trimestrielles et le paiement des heures supplémentaires et des week-ends.

La direction n'avait finalement accordé qu'un pour cent d'augmentation générale et aucun des autres avantages n'avait été accordé, sous prétexte de concurrence acharnée des Chinois, et je ne sais quel autre argument couperet.

Cependant, le principal actionnaire, un fonds de pension européen, qui gérait les milliers de retraités du purgatoire demandait quant à lui une hausse exponentielle du dividende.

 

Un an plus tard, la productivité avait faibli, et la direction dépensa quelques milliers d'euros pour comprendre cette baisse en engageant un cabinet d'audit financier. Monsieur Poisvon montra le fonctionnement de l'entreprise, présenta les salariés les plus assidus, fit lire les comptes.

Bien évidemment une rumeur de revente de Citron Vert se mit à courir à grande vitesse parmi les employés, leur conjoint, leur famille ; la ville tout entière et le journal local s'emparèrent alors des bruits, et la presse régionale titra bientôt : «  le Citron Vert bientôt pressé »

Le cabinet d'audit très ami avec une entreprise d'informatique, suggéra fermement de procéder au changement de tous les PC, écrans et imprimantes achetés cinq auparavant, fit dépenser des centaines de milliers d'euros pour investir dans un nouveau système informatisé de gestion logistique.

 

Un an plus tard, les salariés maîtrisaient tout juste l'outil informatique (aucun des membres de la direction n'avait d'ailleurs pris la peine de se former, prétextant chacun que leur bureau était déjà assez encombré de dossiers à traiter dans l'urgence) et l'entreprise, jadis à la pointe des investissements créatifs, peinait pour maintenir son taux de croissance annuel.

Un nouveau cabinet de conseils, le précédent ayant fusionné et presque disparu depuis, revint faire une analyse et donna des avis en matière des ressources humaines. Le bruit selon lequel l'entreprise allait incessamment sous peu procéder à une dizaine de licenciements économiques et que la direction ne tenta d'ailleurs pas d'étouffer,  parvint jusqu'aux oreilles de la presse régionale dans sous la plume du journaliste Jean-Alain Farfouille qui titra : le Citron Vert perdra t-il ses derniers pépins ?

Cependant, le cabinet rendit son verdict, et plusieurs employés en fin de carrière, estimés sous adaptés aux nouvelles technologies furent encouragés à partir en pré-retraite. L'entreprise dépensa à nouveau à cet effet des milliers d'euros.

 

L'effectif ainsi réduit, le restant des salariés du travailler au delà du temps réglementaire pour parvenir à assumer la nouvelle charge de travail pesant sur leurs épaules tout en essayant d'apporter des améliorations au système informatique, qui, faute de d'investissement lourds sur le réseau plantait en moyenne deux fois par jour.

Les employés se retrouvaient alors dans la cour pour fumer et boire le petit vin de propriété que le directeur leur vendait chaque année ou leur offrait en guise de remerciement de leur travail ou de leur compétence confirmée.

 

Bientôt ce traitement de faveur eut des conséquences sur leur santé. Plusieurs cas de dépression virent le jour, et le médecin du travail alerta la direction en préconisant l'interdiction de fumer dans l'enceinte de l'établissement.

Les salariés, une fois le dispositif mis en place, se retrouvèrent devant l'usine, à l'exception d'une dizaine d'entre eux qui en profita pour arrêter le tabac.

Dix autres ayant entamé une psychothérapie, le groupe restant se trouvait d'autant plus fort et commençait un sérieux complexe de supériorité vis à vis de cette minorité déclarée plus faible qu'eux.

Autant dire que l'ensemble des salariés vivait une période bien triste, que les uns menaçaient les autres, que le harcèlement en provenance de la direction avait cessé, remplacé par celui que les salariés se faisaient subir les uns aux autres.

On eut dit une meute de loups affamés, se battant pour la dernière proie de l'année en laissant poils et yeux dans la bataille, si bien que l'entreprise atteignit rapidement son quota de travailleurs handicapés.

 

Dans cet effectif on comptait celui dont le foie ne pouvait soutenir aucune nourriture solide, et qui lorgnait malheureux sur le vin du directeur, lequel n'en buvait jamais depuis que son médecin de famille l'avait mis en garde contre les méfaits des abus en tous genres, un sourd-muet qui ne pouvait décemment plus entendre les reproches de ses collègues et une quinquagénaire célibataire (cela ne change rien à cette histoire).

 

Un an plus tard, l'entreprise subit de plein fouet la concurrence du géant de la cosmétique qui l'avala en deux mois et à coups de liquidités.

Les directeurs, rêvant depuis déjà plusieurs années de filer à l'anglaise dans les Antilles pour y passer une retraite ensoleillée, ne firent pas la fine bouche devant tant d'euros si bien offerts.

 

Un an plus tard, le nouveau propriétaire ayant analysé l'activité dans ses moindres détails, même la poussière du bureau de l'aide comptable avait subi une analyse chimique ; le pendule assena un grand coup sur la tête de tous les employés :

L'usine devait être délocalisée en Asie du sud est, et le géant de la cosmétique proposait à tous les employés :

 

- 1, de suivre le mouvement pour faire passer leur savoir-faire et diriger les petites asiatiques qui sans leur soutien ne pouvaient prétendre à produire un travail propre.

 

- 2, de partir avec une indemnité égale à la somme de leurs forfaits bruts journaliers divisés par le plafond de la sécurité sociale et multipliés par les dividendes qui auraient dû leur revenir s'ils étaient restés dans l'entreprise dix années de plus.

 

Et la direction de poursuivre :

- « Nous donnerons des parfums français aux employés qui donneront une réponse sous six jours ! »

 

Les salariés avaient beau être très affectés par les récents remue-ménages, il pensèrent qu'ils étaient pris pour des cons, et se mirent en grève dès le lendemain.

La presse régionale décrivit leur mouvement social comme une ultime tentative de sauver les meubles mais aucune autorité locale ne vint à leur secours et ce fut la fin annoncée de Citron Vert.



30/09/2008
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