Poèmes et écrits

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L'HOMME AUX DOLLARS

Ni plus coloré, ni moins blanc qu'’un autre.… Il n'’avait pas l’allure d’un SDF et pourtant il errait dans les rues de cette grande ville du nord de la France, entre mines fermées et entreprises délocalisées.

A l'’aéroport, personne ne l’'avait attendu, rien ne se passait d'ailleurs comme prévu.

Un taxi l’avait conduit dans la localité indiquée sur la carte de visite, que son PDG lui avait remise avant de partir de son côté, exactement à l'’autre bout du monde.

Il errait parce qu'’il ne savait ni où aller, ni où dormir.

Dans cet hôtel, là, au bord de la nationale, toutes les chambres étaient déjà occupées par des spécialistes venus en écouter d'’autres parler de bio-carburant, de  bio-diversité et de bio-équilibre.

Il était déjà 18h00, mais le printemps égayait le paysage, heureusement.

Il ne manquait pourtant pas d’argent, hasard des circonstances, il s’'agissait justement d’un homme venu les poches pleines de pétrodollars, tellement remplies d’'ailleurs que l'’argent noircissait ces poches, ce qui le faisait ressembler à un mineur fraîchement sorti d’'une dure journée de travail, et pourtant, ni sa petite valise en cuir, ni son attaché-case, dans lequel il avait casé son ordinateur, ne lui donnait l’apparence d’un travailleur des bas-fonds.

Fermement résolu à ne pas passer la nuit dehors, il était en quête d’une chambre d’'hôte ou d'’un gîte rural. A l'’évidence, trouver une chambre en cette saison morte n’était qu'’un jeu d’enfant !

Ah, enfin ! Voilà qu'’une allée, habilement dissimulée des regards par une haie de troènes , montrait discrètement un panneau stipulant : chambre à louer, nuit ou semaine, s’'adresser à « la ferme des bons voisins ». Effectivement, après avoir fait une centaine de pas de plus, une ferme apparut, ni trop campagnarde, ni trop industrielle, ressemblant beaucoup aux images des livres d’enfants, avec poulailler, cour, chiens pas méchants aboyant bruyamment et chats attendant leur lait.

Notre homme, qui se prénommait Jacques, s’'avança tranquillement et, appela :

-         « Il y a quelqu'’un ?»

 

Il vit un rideau se soulever subrepticement et puis, au moins trente secondes après – ce qui peut paraître long pour aller d’une fenêtre du rez-de-chaussée à la porte la jouxtant – une femme d’une quarantaine d’'années brune et blanche à la fois

( comment ne pas la comparer aux vaches normandes qui parsemaient le paysage) ouvrit la porte en demandant :

- « Qu’est-ce que c'’est ?»

Jacques fit trois pas vers elle et lui dit :

-         « Je dois passer une ou deux nuits dans votre joli coin de France et j’ai vu le panneau. Avez-vous une chambre, ? »

Il avait du parler un peu vite et de façon saccadée, est-ce quelque chose le dérangeait dans l’atmosphère ? Peut-être l'’odeur des champs à laquelle il était peu  habitué…; il avait haché ses mots donc, car la fermière les lui fit répéter.

Puis, pendant deux minutes elle le regarda attentivement, cherchant à déceler dans ses habits une trace de son honnêteté, et visiblement déconcertée par la noirceur de ses yeux, contrastant avec le regard chaleureux qu'’il lui portait.

L'’homme n’y tenant plus lui demandant, sur un ton emprunt de politesse :

- «  Alors ? »

Il sentit pointer de l’agacement chez la fermière qui répondit en maugréant : « bon mais pour une nuit alors ! »

Elle se replia ensuite à l'’intérieur du bâtiment et ressortit dix minutes plus tard avec une grosse clef dans la main.

Les chiens s’étaient tus et on avançait vers le crépuscule comme on marche sur le sable mouillé, avec le sentiment obscur mais inquiétant, de marcher sur des sables mouvants. Jacques, qui ne manquait pas de courage, ne semblait pas marqué par le climat hitchcockien qui les entourait peu à peu.

 Cependant la chambre aménagée dans une ancienne écurie était coquette, le lit, double semblait confortable et la fermière l'’abandonna sitôt le seuil franchi, en lui proposant de venir chercher pain, jambon et fromage pour le dîner.

 

Jacques enleva avec bonheur son pardessus, ses chaussures et ses gants et se lava à l’eau froide mains, têtes et nuque.

Puis il s'’allongeât sur le lit et s'’endormit aussitôt d’un sommeil parsemé de rêves étranges qui le firent se réveiller en sursaut au bout d’'une heure de sommeil.

Il était l’'heure d’'aller chercher de quoi se restaurer, ce qu’il fit après avoir remis son pardessus car il faisait froid et sombre de surcroît.

On n'’y voyait plus rien mais Jacques avait un sens certain de l’'orientation et pu retrouver la ferme avec une relative facilité.

Plus une lumière ne l’'éclairait. Jacques frappa à la fenêtre et s'’arma de patience.

Vingt minutes plus tard, la fermière sortait, tenant un panier et soudain, Jacques se sentit comme un enfant à la merci de la nuit, et 'l’idée du loup que lui donnait ce panier, ressemblait étrangement aux images du petit chaperon jour qu'’il avait gardées en mémoire.

Sa mère, originaire d’'une île lointaine, avait appris ce conte alors qu’elle apprenait à lire et à écrire, bien après les autres enfants, car elle avait passé plus de temps aux champs que sur les bancs d'’une quelconque école. Elle le lui racontait très souvent, ce qui produisait comme une litanie ronronnante et ne manquait pas de l'’endormir instantanément.

Reprenant le chemin de son abri, sans échanger un mot de plus avec la fermière, qui ne lui avait pas demandé un centime jusque là, il tenta de calmer la peur sourde qui montait en lui.

Le pain, le fromage, le jambon engloutis, il avait vraiment faim ; il sortit quelques dossiers de son attaché-case, et se mit à le lire bien qu’il les connaisse sur le bout des doigts, pour tromper sa solitude.

Alors qu'’il s’assoupissait doucement, des bruits étranges lui parvinrent à l’oreille.

On entendait pêle-mêle des cris d’animaux nocturnes, chouettes effraies, crapauds qui venaient dormir au chaud contre les murs de la ferme, et oui ! Sans doute une meute de loups attirés par le poulailler.

Jusque là, pas de quoi s’inquiéter, il suffisait de rester au lit et d'attendre le marchand de sable.

Mais voilà que ce qui lui paraissait comme des bruissements de la nuit, devint pour lui ( la fermière était supposée dormir) un langage inhumain, guttural, inquiétant au point de se lever de faire ses valises et d'’attendre l’'aube pour fuir sans se retourner, ne plus jamais revenir dans ce lieu isolé, retourner à la foule bigarrée, aux klaxons, à la musique rythmée, bref, revivre toutes sortes d’autres bruits auxquels il était bien plus habitué, et qu'’il aurait retrouvé en cet instant avec la plus grande joie.

 

Mais il n’'avait pour le moment pas le choix : il lui fallait attendre là, la perspective de se trouver dehors dans ce noir ne lui laissait aucun doute sur la décision à prendre.

Et c’'est sans doute pour cela, parce qu'’il se sentit alors traqué comme une bête sauvage prise au piège, qu’il commença à paniquer.

Là, à l’unique fenêtre, n’était-ce pas une ombre menaçante ?

 Il se leva d’un bond, bien décidé à ne pas se laisser faire et comme il avançait d’un pas, le sol sembla se dérober sous ses pieds.

Il venait de tomber dans un trou, à peine dissimulé par un tapis élimé mais qu'’il n’avait pu détecter faute d’'éclairage suffisant, aucune entreprise d’électricité européenne ne s’intéressant à la clientèle rarissime de ce bled, aucun technicien n’était passé depuis des lustres, et les habitants avaient fini par se tenir la chandelle les uns aux autres en pestant contre l’'esprit fonctionnaire des patrons.

Cependant, Jacques était tombé de haut ; il avait mal à la cheville.

Un voix sortie du mur - était-ce son imagination ou reconnaissait-il vaguement la voix fatiguée de la fermière ? -  lui fit savoir qu’il allait rester prisonnier quelques jours, le temps d'’accomplir sa peine, trop foncé pour être blanc comme neige lui dit la voix, puis lui répéta sa sentence :

-« quatre jours sans manger ni boire, sans voir la lumière du jour, voilà ! »

Jacques n’en croyait pas ses oreilles.

Ses amis disait de lui qu’il avait la tête sur les épaules, ce qu’il vérifia, les pieds sur terre, pour le moment il les avait sous terre, et le moral au beau fixe.

Sa tête se mit à bourdonner et sa première pensée fut pour son pays, dont les couleurs, la chaleur, les arbres et les fleurs odorantes se mirent à lui manquer cruellement.

Et pour cause, une odeur de putréfaction se mit à envahir ses narines, si bien qu’'au bout de quelques secondes, il s'’évanouit.

Deux heures ou bien deux jours plus tard, comment savoir ? Il se réveilla lentement de sa torpeur et retrouva ses sens mais aussi l'’obscurité, l'’intolérable puanteur et l'’humidité qui montaient en lui comme mille supplices, l’'empêchant de faire le moindre mouvement.

Puis son optimisme naturel fit naître en lui de plus douces pensées.

Son client l’attendait là quelque part dans ce village et allait donner l’alerte à n’'en pas douter ; les gendarmes viendraient fouiller les lieux, ils le ramèneraient à la surface, son nom apparaîtrait dans le journal, on chuchoterait en le montrant discrètement du doigt : « Il vient de passer quatre jours enfermé dans une fosse… » On dirait de lui quel homme, quel courage !

 

Les femmes l'’admireraient, il en choisirait une, lui ferait de beaux enfants bronzés sans être allés au soleil.

Ses amis à son retour lui organiseraient une grande fête, lui ferait des cadeaux,…

Son chef lui confierait des missions tranquilles, toujours dans des grandes villes, où la foule protège de tout.

Mais il eut beau attendre et attendre encore, rien ni personne ne vint, il ne se passa plus rien, sinon qu’après la faim succéda le sommeil, la douleur devint aiguë, il se sentit tomber dans le coma, chercha à se rattraper à ses rêves, à la poussière de l'’endroit, à ses espoirs les plus fous puis ce fût la fin.

Jacques était mort.

De longs mois plus tard, au cours d’une chasse organisée par les maires de plusieurs communes voisines, on trouva son corps, car les chiens avaient donné l'’alerte et poussé des hurlements lugubres.

Les policiers du service spécial, scientifique, technique et chimique marquèrent leur passage par de grandes traces de pneus, saupoudrèrent les surfaces du logis, relevèrent les empreintes, le moindre petit bout d'’herbe fut prélevé, analysé, jusque dans ses moindres détails, odeur, couleur, composition.

Les analyses d’ADN ne donnèrent pas satisfaction, aucun relevé ne put aider à percer le mystère.

Le maire fit tout d’ailleurs pour que ce crime ne puisse être pris pour un acte raciste, et réduisit au silence les rares personnes croisées par Jacques en les arrosant des dollars trouvés sur lui.

Le notaire, convoqué, fit semblant de mener à bien une vague recherche de parenté.

L’'affaire fut enterrée, comme le malheureux Jacques, dans le cimetière du village, une centaine de personnes était présente, car le village vivait peu d’'animations dans l'’année, et les occasions étaient rares de sortir de chez soi.

Personne ne réclamât le corps, et aucun autre fonctionnaire ne fut plus désormais sollicité, aucun dossier supplémentaire n’'encombra le bureau des juges, les gardiens de prison ne fermèrent jamais la porte sur la meurtrière.

De lui nous ne verrons jamais plus la couleur…. Un corps sans vie ressemble à un autre, un peu de poussière, quelques ossements, et le souvenir souriant d'’une âme d’enfant.



03/10/2008
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